Réquisitoire contre Régine Deforges

 

 

1er février 1983

 

 

 

Françaises, Français,

Belges, Belges,

Cher président mon chien,

Monsieur l'avocat le plus bas d'Inter,

Mesdames et messieurs les jurés,

Public chéri, mon amour.

Bonjour ma colère, salut ma hargne, et mon courroux... coucou.

 

Arielle de Claramilène s'ébaudrillait nuquelle et membrissons en son tiède et doux bain d'algues parfumil. Molle en chaleur d'eau clipotillante, chevelyre aquarelle, charnellolèvre de fraise extase, chavirée de pupille à rêve écartelé d'humide effronterie, murmurant ritournelle enrossignolée, elle était clatefollement divine. La brune esclavageonne émue qui l'éventait un peu de son parcheminet contemplait ébloussée les blancs dodus mamelons de bleu nuit veinelés, les petons exquis de sang carmin teintés, les fuselines aux mollets tendres, le volcanombril cloquet, et la mortelle foressante du sexiclitor...

Perversatile et frissonnitouche, Arielle sentit bientôt ce libidœil lourd à cils courbés tremblants, que la madrilandalouse mi-voilée, presque apoiline, posait sur l'onde tiède où vaguement aux vaguelettes semblottaient se mouvoir les chairs dorées à cuisse offerte à peine inaccessiblant, si blanc, au creux de l'aine exquise.

Lors, pour aviver l'exacerbie de l'étrangère, elle s'empara du savonule ovoïdal et doux à l'eau, l'emprisonna de ferme allégresse dans ses deux manucules aigles douces ongulées cramoisies et, le patinageant en glissade de son col à son ventre, s'en titilla l'échancrenelle.

« E pericoloso branletsi », rauqua la sauvagyne embrasée, qui se fondait d'amouracherie volcanique indomptable, et qui, s'engloutissant soudain les deux mains à la fièvre sans prendre le temps de slipôter, bascula corps et âme dans l'éclaboussure satanique de cette bénie-baignoire pleine d'impure chatonoyance et de fessonichale prohibité fulgurante. Quand l'étincelle en nuage les eut envulvées, ces étonnantes lesboviciennes se méprisèrent à peine et s'extrablottirent en longue pelotonnie, de Morphée finissant, jusqu'à plus tard que l'aube, sans rêve et sans malice, quoique, virgines et prudes, elles n'aient naguère connu l'onanaire qu'en solitude.

Ce texte admirable - et je baise mes mots - ce texte admirable, extrait du journal intime de Sœur Sourire : « Quand j'étais pas nonne, j'étais pas nette », écrit en collaboration avec mesdames Jacob et Delafon, aux éditions Paillard, ce texte admirable nous prouve à l'évidence, mesdames et messieurs les jurés, que les femmes, en matière d'érotisme plus encore qu'en toute autre, sont nos maîtresses. Et si les femmes sont nos maîtresses, remercions-en ici, mes frères, le Tout-Puissant qui règne là-haut en son divin royaume, entre la bouche d'aération de la tour Montparnasse et la zone stratosphérique à l'abri de l'anticyclone venu des Açores qui, après dissipation des brumes matinales, cédera la place à un temps plus doux au nord d'une ligne Strasbourg-Berlin, c'est-à-dire nulle part en France mais c'est normal : « En cette saison, y a plus de saison », disait Aragon dont la température relevée ce matin sous abri n'excédait pas deux degrés à l'ombre... Je prie la cour de bien vouloir excuser mon émoi : il y a maintenant plusieurs semaines qu'Aragon n'est plus communiste, mais je n'arrive pas à m'y faire.

Ça doit être moi qui suis anormal, c'est sûr, il y a des signes : quand Aragon était vivant, je n'arrivais pas à croire qu'il était communiste. Maintenant qu'il est mort, je n'arrive pas à croire qu'il ne l'est plus.

C'était beau Aragon, les enfants.

 

J'en ai tant vu qui s'en allèrent

Ils ne demandaient que du feu.

Ils se contentaient de si peu

Ils avaient si peu de colère

J'entends leurs pas, j'entends leur voix

Qui disent des choses banales

Comme on en lit sur le journal

Comme on en dit le soir chez soi.

Qu'a-t-on fait de vous hommes femmes

Aux pierres tendres tôt usées

Et-vos apparences brisées

Vous regarder m'arrache l'âme.

 

C'est beau Aragon, non? On dirait qu'il décrit les esclaves muselés qui font la queue devant les boucheries polonaises, vous ne trouvez pas ?

 

Votre enfer est pourtant le mien

Nous vivons sous le même règne

Et lorsque vous saignez je saigne

Et je meurs dans vos mêmes liens

Quelle heure est-il, quel temps fait-il

J'aurais tant aimé cependant

Gagner pour vous pour moi perdant

Avoir été peut-être utile

C'est un rêve modeste et fou,

Il aurait mieux valu le taire

Vous me mettrez avec, en terre,

Comme une étoile au fond d'un trou.

 

Aragon, en terre comme une étoile au fond d'un trou. Elle est bonne, non ? Rouge l'étoile ?

Et Jean Genet ! Voilà un pédé qui sait bouger la langue pour nous insuffler sa vague déferlante et toujours recommencée d'érotisme trouble !

Régine Deforges, perverse et distinguée semeuse de nos visions fantasmatiques, magicienne allumeuse de nos illusions folles, qui faites jaillir du bout de votre plume les parfums chauds des porte-jarretelles interdits de nos plus fous espoirs oniriques, Régine, il est impossible que vous n'ayez jamais frémi en écoutant l'improbable et superbe cri du condamné à mort de Jean Genet :

 

Sur mon cou sans armure et sans haine,

Que ma main plus légère et grave qu'une veuve

Effleure sous mon col sans que ton cœur s'émeuve

Laisse tes dents poser leur sourire de loup

Nous n'avions pas fini de nous parler d'amour

Nous n'avions pas fini de fumer nos gitanes

On peut se demander pourquoi les cours

Condamnent un assassin si beau qu'il fait pâlir le jour.

 

Ah, ça c'est l'amour. Chère Régine, que l'amour vous va bien ! (Je signale aux auditeurs qui prennent l'émission en cours que nous jugeons aujourd'hui Régine Deforges. Pas Régine Tout court-Tout rond- Tout mou, Régine Deforges.)

Ah, Régine, si vous n'étiez si lointaine et déjà prise par les mains velues de je ne sais quel anthropoïde, si moi-même, de mon côté, je n'étais pas l'homme d'une seule femme, comme j'aimerais vous montrer de vive main... de vive voix, avec quelle fougue la raideur de la justice est capable d'ébranler les fondements de cette morale de rouille rabattue ! (Qu'en termes élégants ces choses-là sont bites.)

Régine Deforges... Depuis le jour où d'un cœur turgescent j'ai planté mes yeux dans Lola et quelques autres, où il apparaît à l'évidence, madame, que vous êtes à la littérature érotique ce que Vatel fut à la queue, c'est-à-dire un maître, depuis le jour où par ce livre je me suis enfoncé impunément dans vos fantasmes femelles avec la trouble impudeur d'un Paul Éluard murmurant : « Parfois je revêts ta robe, et j'ai tes seins et j'ai ton ventre », depuis ce jour, madame, je rêvais de vous rencontrer pour saluer en vous la vraie femme, l'anti-virago gynéconasse qui s'astique la libido à deux mains sur la hampe de son drapeau MLF, la Femme, avec un grand F majuscule et pulpeuse et une belle paire de M ! La femme de la chanson paillarde que vous osâtes mettre en exergue du chapitre le plus totalement effronté de ce livre étonnant : Lucienne ou l'amoureuse du passage Verot- Dodat. Vous souvenez-vous de cette phrase ? « Toute femme ici-bas demande ou la richesse, ou la grandeur. Moi je dis que l'homme qui bande a seul quelque droit sur mon cœur. »

Mais à continuer sur ce ton, vous allez croire, madame, que je vous fais la cour et que je n'aurai de cesse de vous attendre à la sortie pour vous faire jouer de la flûte à bec, ou vous donner un concert de cornemuse. Quand je dis «cornemuse», j'exagère le nombre des tuyaux... Mais rassurez-vous, madame, je saurai me tenir en gentleman... «A gentleman is a man who can play the bag pipe and who does not. » Un gentleman, c'est quelqu'un qui sait jouer de la cornemuse et qui n'en joue pas.

Donc Régine Deforges est coupable, mais son avocat vous en convaincra mieux que moi.

 

Régine Deforges: Romancière spécialisée dans la littérature érotique, elle a eu l'idée d'écrire La Bicyclette bleue en faisant une promenade en tandem avec Margaret Mitchell, l'auteur d'Autant en emporte le vent.

Requisitoires du tribunal des flagrants delires
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